Et si repenser le fonctionnement de l’entreprise passait par la réinvention de ses fondations, soit le lieu même du travail ? Tiers-lieux, télétravail, coworking, despacialisation… Les termes et les nouvelles idées fleurissent. Qu’il s’agisse d’espaces réaménagés dans les sociétés ou de bureaux mutualisés extérieurs à l’entreprise, ces initiatives cherchent une autre voie et pourraient bien créer l’environnement de travail de demain.
La despacialisation : comment réinventer le bureau ?
Dans l’Oise, Agesys développe pour ses collaborateurs le concept de « Despacialisation ». Il s’agit de se défaire de la vision traditionnelle du bureau et de laisser à l’employé le libre choix de son lieu de travail. La présence quotidienne dans les locaux n’est pas obligatoire. Chacun peut opter pour le travail à distance, que ce soit dans des lieux externes à l’entreprise dédiés au télétravail ou bien chez soi. Le lien social entre membres de la société est conservé par les réseaux sociaux, le téléphone, ou encore les outils informatiques de tchat et de visio-conférence.
Ainsi, sur la cinquantaine de salariés d’Agesys, une vingtaine tente déjà l’expérience. Les locaux de la société ne comportent d’ailleurs pas de bureaux attitrés, y compris pour la direction. Les espaces de travail et de réunion sont ouverts à tous, en fonction des besoins.
Cette despacialisation suppose des aménagements réfléchis, et des investissements matériels ; adaptation des moyens informatiques pour rendre les logiciels spécifiques et les fichiers d’Agesys accessibles à distance (ce qui implique une sécurisation accrue de ces données), mise à disposition de tablettes tactiles et d’ordinateurs portables pour les collaborateurs, création de forums internes collaboratifs…
Au-delà de l’originalité de la démarche, c’est aussi une réinvention de la façon d’envisager le travail et l’attachement de l’employé à son entreprise. Le management se base ainsi pleinement sur la confiance, donnant un sentiment de liberté au collaborateur qui se trouve responsabilisé sur l’organisation même de son travail. Il n’est pas tenu par des horaires ou par sa présence physique, mais bien uniquement par ses résultats, et concentré sur ses objectifs seuls.
D’ailleurs, en 18 mois de despacialisation, Agesys a vu son chiffre d’affaires s’accroître de 30 %, et estime l’économie de temps de trajet à près de deux milliers d’heures, soit une considérable diminution de son empreinte écologique.
Des bureaux sans propriétaires
Instaurer le nomadisme dans son fonctionnement professionnel permet aussi un gain de place et, de fait, une économie de loyer. C’est ce qu’ont constaté les dirigeants d’Accenture France, à Paris, en
développant le projet Moving Forward. A l’instar d’Agesys, cette société a fait le choix d’encourager le travail à domicile et le « Free seating » dans ses locaux, à savoir la liberté de s’installer à n’importe quelle place, n’importe quand, pourvu qu’elle soit libre. De l’omniprésence des accès internet et téléphone à l’installation de grands écrans connectés aux PC portables dans les espaces de travail communs, en passant par des plannings de réservation informatisés sur des écrans interactifs accrochés aux salles de réunion, tout a été pensé pour permettre le mouvement et le brassage des équipes. La moitié des effectifs travaille d’ailleurs de son domicile au moins une journée par semaine.
Concrètement, cette optimisation a permis d’occuper un étage en moins sur les six où s’étendait le personnel d’Accenture au début du projet Moving Forward, ce qui représente une économie de 20 % de loyer.
Le coworking : une communauté d’entreprises
Cette vision du bureau du futur ne se limite pas à la démarche interne des entreprises. En France, les espaces dits de Tiers-lieux ou de Coworking fleurissent. D’après Nathanaël Mathieu, président de la société LBMG Worklabs spécialisée en conseil relatif au télétravail, il y a aujourd’hui plus de 350 espaces de coworking en France, alors qu’il n’en existait aucun en 2008. Véritables locaux à part entière tels les 170 m² connectés en Wifi ou filaire de la Fontaine, à Agen, ces espaces de travail collaboratif proposent des forfaits de temps d’occupation, un réseau vivant, des équipements dernier-cri et des situations privilégiées au cœur de la ville.
Ces endroits sont destinés aux travailleurs indépendants ou auto-entrepreneurs désireux de trouver des bureaux hors de leur domicile, formant ainsi une communauté dont les échanges peuvent faire naître des projets de plus grande envergure. De plus en plus, ces Tiers-lieux attirent les salariés dont l’entreprise a opté pour le télétravail. Certaines d’entre elles, comme Schneider Electric ou EDF investissent d’ailleurs dans des projets de coworking.
Au service de l’Etat, en télétravail
La réflexion sur l’environnement professionnel gagne aussi le secteur public. La loi Sauvadet autorise les fonctionnaires à choisir le télétravail. Elle date de 2012, mais selon l’entourage de la ministre de la Fonction Publique, son décret d’application serait en cours de finalisation pour entrer en vigueur fin 2015. Le télétravail permettrait aux fonctionnaires d’être physiquement à leur poste seulement pour la moitié de leur durée de service.
Il reste à pouvoir mettre en place une telle organisation sur le terrain, ce qui demande des adaptations matérielles et informatiques. De plus, de nombreux postes de la Fonction Publique ne pourraient être envisageables avec un tel dispositif, notamment ceux nécessitant la réception des personnes. Mais la mesure témoigne bien d’une évolution dans la perception du rapport entre l’employé et son environnement.
L’avenir du travail ?
La question du télétravail dépasse celle du bien-être de l’employé. Le développement croissant de cette pratique vient bouleverser la vision traditionnelle du travailleur nécessairement ancré à son bureau dédié, au sein des locaux de son entreprise. Régus, société luxembourgeoise experte de la question, a récemment bouclé une grande étude sur le sujet, interrogeant plus de 40 000 cadres et dirigeants à travers plus de cent pays. Il apparaît dans cette étude, à condition que cela soit bien encadré, que les managers se montrent à 72 % favorables au télétravail.
Rendu possible par les évolutions technologiques offrant des outils de communication nomades aux espaces de stockage virtuels accrus, parfaitement adapté dans une société où le secteur tertiaire occupe une telle importance, le travail à distance n’en est à qu’à ses frémissements. Mais peut-être préfigure-t-il une nouvelle ère dans l’histoire du travail. Se heurtera-t-il aux difficultés matérielles de sa mise en place, restera-t-il une pratique marginale, ou deviendra-t-il la norme à prendre en compte lors de toute construction de locaux professionnels ? De plus en plus d’entreprises apportent déjà leur réponse.
Références :
- BERTIN, Kevin. « Agesys croît grâce à sa stratégie de « despacialisation du travail » », Entreprises de l’Oise (30 juin 2015).
- THUILLIER, Christophe. « La Despacialisation ou comment mettre le travail à distance dans l’ADN de l’entreprise. »
- CHAUDEAU, Céline. « Réaménager ses bureaux pour générer des économies », Aujourd’hui en France Economie (29 juin 2015).
- ROBERT, Philippine. « Télétravail : ce qui attend les fonctionnaires », Les Echos (17 juillet 2015).
- INDICE RH. « 72% des managers seraient favorables au télétravail, à condition de bien l’encadrer »